RÉALISATIONS ET PROJETS
DE L'INSTITUT DE MUSIQUE CANADIENNE

John Beckwith

[Association pour l'avancement de la recherche en musique du Québec / Les actes du sixième colloque / tenu à Québec les 8, 9, et 10 mai 1987
Les Cahiers de l'ARMuQ, 10e numéro, publié par Louise Bail Milot, Hélène Garceau et Micheline Vézina Demers / Québec 1988 / 74-81]


John Beckwith

Afin de favoriser les échanges entre chercheurs et d'élargir le rayonnement des différentes associations oeuvrant pour la diffusion de la musique canadienne, l'ARMuQ invita M. John Beckwith à venir préciser le rôle de l'Institut de musique canadienne dans le développement de la recherche musicale au Canada. (Note de l'éditeur)

En 1984, mes collègues de la faculté de musique de l'université de Toronto, les professeurs Tim Rice et Tim McGee, persuadèrent le mécène torontois Floyd S. Chalmers d'aider à l'établissement d'un institut pour la musique canadienne. On me donna la tâche de l'inaugurer.

La faculté s'était déjà affirmée dans le domaine des études en musique canadienne. J'y avais moi-même instauré, pour la première fois à Toronto, un cours d'histoire de la musique, La Musique de l'Amérique du Nord. Le contenu de ce cours traitait de l'évolution de la musique dans chacune des régions géographiques du Canada. À l'époque, nous étions des pionniers : c'était en 1966. Peu à peu, d'autres cours s'y greffèrent, en ethnomusicologie et en analyse musicale.

Au début, nous projetions de soutenir prioritairement des projets d'enseignement et de recherche de même que de subventionner l'achat de Canadiana pour notre bibliothèque. Par la suite nous décidâmes de développer l'intérêt pour la musique canadienne en travaillant à la faire reconnaître comme l'un des facteurs signifiants de la culture canadienne dans les programmes d'études avancées, en encourageant l'édition et l'enregistrement, enfin, en stimulant et suscitant les échanges entre les chercheurs du Canada et d'ailleurs.

L'ENSEIGNEMENT ET LA RECHERCHE

Dans le cadre des activités de l'Institut, il nous semble tout d'abord naturel d'encourager certains projets d'enseignement et de recherches, car plusieurs sujets de thèse arborent une orientation canadienne.Mentionnons, au niveau des études graduées à la faculté de Musique, des sujets portant sur la vie musicale à Toronto au milieu du XIXe siècle, la musique des Inuit, les sources de la musique des Mennonintes au Canada, l'histoire de l'opéra dans nos deux principales villes. Trois autres thèses de doctorat sont présentement en cours, de même que quelques recherches des membres de la faculté qui visent à cerner certains problèmes particuliers à la culture canadienne. Ainsi, deux chercheurs s'intéressent à des compositeurs canadiens, deux autres travaillent respectivement sur le patrimoine musical de Toronto et sur un répertoire canadien de cantiques; un dernier chercheur, enfin, travaille dans le domaine de l'éducation musicale.

LES RECHERCHES BIBLIOGRAPHIQUES

Très vite, cependant, nous répondîmes à divers besoins et accordâmes une attention particulière à la bibliographie canadienne. Ainsi, l'an dernier, nous avons produit un index analytique de la collection de musique canadienne imprimée de la bibliothèque Edward Johnson. Présentement, nous sommes à préparer un index semblable de tous les recueils de chansons des universités et des collèges du Canada. Un projet similaire sur la dissémination de la musique canadienne à l'étranger nous a amené à consulter diverses encyclopédies musicales internationales, des périodiques musicaux et artistiques, des programmes de cours sur les études canadiennes, des répertoires des tournées d'artistes et d'ensembles musicaux.

Ces index et ces recherches individuelles ont été effectués à temps partiel par quelques étudiants inscrits à notre cours d'études graduées; nous avons travaillé avec acharnement. Ainsi donc, en dépit de périodes de temps limitées et de modestes ressources en matière de personnel, j'ose prétendre que l'Institut commence à se tailler une place respectable au sein de la communauté musicale canadienne.

LES PROGRAMMES D'ÉTUDES CANADIENNES

Depuis longtemps, mes collèges et moi constatons le peu d'intérêt que suscite la musique canadienne dans les programmes d'études canadiennes, au Canada ou à l'étranger. Dans ces programmes - qui se sont multipliés de façon remarquable - il nous semble, en effet, que les arts visuels et la littérature s'y sont taillé une place de choix alors que la musique y est presque absente. Notre action vise, entre autres, à inciter les directeurs de ces programmes, les éditeurs de revues et de périodiques à diffuser, par le livre et l'enregistrement, les ressources musicales et à intégrer la musique dans l'ensemble des facteurs qui expliquent la culture du pays. Le Répertoire de l'Association internationale pour les études canadiennes recense un nombre impressionnant de publications (revues, bulletins de renseignements) provenant des centre d'environ une vingtaine de pays différents. Si la musique est vraiment l'un des principaux indicateurs de notre culture, il nous faudra augmenter et consolider sa présence dans le monde des études canadiennes.

L'ÉDITION

L'un de nos plus grands voeux était de publier une revue critique de musique canadienne. Cela nous parut rapidement au-delà de nos possibilités financières. Bien qu'il apparaît sans doute irréaliste de suggérer un tel périodique musical national au Canada à ce moment-ci de notre histoire, plusieurs exemples du passé tendent néanmoins à nous prouver le contraire.

En 1956, déjà, la bibliographie du docteur Helmut Kallmann recensait 72 titres de périodiques existants ou ayant existé. En 1980, Kathleen McMorrow nous donnait une liste supplémentaire de 33 nouveaux titres parus dans l'intervalle d'un quart de siècle. Ces statistiques peuvent nous étonner, surtout si l'on considère que, de nos jours, plusieurs périodiques ne s'adressent qu'à une seule région ou n'intéressent que les mélomanes d'une spécialité, soit la musique de jazz, la musique ancienne ou l'opéra.

Dans le domaine des écrits savants, la Revue de musique des universités canadiennes (anciennement le Journal de l'ACEUM) et Studies in Music semblent être nos seuls médias nationaux. Quant au périodique bilingue Musicanada, publié à Ottawa par le Conseil canadien de la musique dans le but de renseigner le pays entier sur les événements musicaux, il est de dimension trop modeste et dispose d'un personnel trop limité pour couvrir l'ensemble de la réalité musicale canadienne.

Il nous manque donc une revue dont l'orientation critique pourrait prétendre évaluer sérieusement les éditions, les enregistrements et les livres. Cette revue pourrait s'adresser aux lecteurs avertis et traiter de la vie musicale dans toutes les régionis du Canada. Elle présenterait une part raisonnable d'actualité tout en servant également la recherche savante et la critique plus spécialisée. Cette revue-là serait de nature à stimuler substantiellement l'ensemble de nos activités musicales.

Bien qu'elle soit au-delà de nos moyens, lors d'une réunion informelle du colloque de l'automne dernier, nous avons tout de même considéré la possibilité de matérialiser une telle revue. Deux jeunes auteurs qui avaient déjà exprimé leur intérêt pour ce genre de périodique nous suggérèrent d'inviter toute personne intéressée. Trente personnes se présentèrent sur une douzaine attendues. On me dit que le projet est encore à l'étude.

Dans l'intervalle, l'Institut consacre du temps et des énergies, de même que des ressources financières relativement importantes, à d'autres projets d'édition pour lesquels nous avons pu aider à la production ou à la recherche. Quelques-uns d'entre eux sont réalisés ou en voie de l'être. Je citerai le Jean Papineau-Couture de Louise Bail Milot, une publication parue l'année dernière chez HMH Hurtubise. Je citerai également une histoire de la société Arraymusic, organisme torontois pour la musique d'avant-garde, dont l'auteur est Colin Eatock. Enfin, à Hamilton en mai 1987, au Congrès des Sociétés savantes, nous ferons une première mention publique d'un ouvrage des Presses de l'université de Toronto.

À ces collaborations, nous ajoutons la réalisation de nos propres projets, notamment la publication des comptes rendus de nos deux colloques de 1986. Sous les titres respectifs de Sing Out the Glad News et Hello Out There, ces comptes rendus, décrits comme des "fascicules", n'en contiennent pas moins près de 200 pages de textes, de photographies et d'examples musicaux. Ils sont les numéros 1 et 2 d'une série de publications, CanMus Documents (Documents de musique canadienne), qui espère combler quelques lacunes dans la littérature sur la musique canadienne. Bien que prenant la forme d'une contribution différente de celle d'une revue, parce que paraissant de façon irrégulière et adoptant des formats différents, cette série de publications s'avère tout de même une initiative fort valable.

L'ENREGISTREMENT

Depuis que j'ai écrit sur le sujet en 1955, l'enregistrement de la musique canadienne s'est énormément développé. En 1955, il était impossible de se procurer les enregistrements de Radio-Canada. Quant à l'industrie du disque commercial, elle n'avait engendré que deux disques. Règle générale, la situation s'est surtout améliorée dans les domaines des répertoires folklorique, populaire et contemporain. Le répertoire de la musique canadienne savante du passé demeure, quant à lui, peu représenté. Pour obvier à cette lacune, l'Institut propose quelques enregistrements dans le cadre de la série Arbor Records de la faculté de Musique de l'université de Toronto. Nous espérons que ces projets d'enregistrement se concrétiseront durant la saison 1987-88.

LES ÉCHANGES ENTRE CHERCHEURS

La participation de l'Institut à des colloques d'autres organismes

Les échanges entre chercheurs en musique canadienne demeurent une priorité. Au cours de notre deuxième saison d'activités, nous avons assisté aux colloques d'organismes tels la section des interprètes de notre faculté, l'Association des éducateurs de musique de l'Ontario et l'Association des compositeurs universitaires des États-Unis. Nous avons participé au projet Le Compositeur dans la salle de classe de Centre de musique canadienne. En ma qualité de directeur, j'ai assisté aux réunions de la Sonneck Society (Société des musicologues spécialisés en musique américaine). Aujourd'hui, je suis avec vous et, à l'automne prochain, je siégerai au comité des responsables du projet international La Musique dans la vie de l'homme dont le volume sur la musique nord-américaine sera dirigé par le musicologue Charles Hamm.

En 1986, à l'occasion de l'Année internationale de la musique canadienne, j'ai personnellement assité, à titre de compositeur et de directeur de l'Institut, aux colloques-festivals des universités Queens, Brock, San Diego State et de la Colombie-Britannique. Cette année a été particulièrement propice à l'épanouissement de notre répertoire, mais aussi à cause de l'impact que ces diffusions ont eu auprès des étudiants, des éxécutants et des consommateurs. Les aspects particuliers de notre recherche historique ont également suscité beaucoup d'intérêt et ont participé au succès de l'ensemble de l'événement.

Les colloques de l'Institut

Dès sa fondation, l'Institut consacra beaucoup d'effort à organiser des réunions sur des sujets d'études spécifiques en musique canadienne. Deux colloques ont eu lieu en 1986, l'un sur l'hymnodie et l'autre sur la dissémination de notre musique à travers le monde. En 1988, nous avons l'intention de convoquer une réunion d'ethnomusicologues canadiens.

Le colloque sur le thème de l'hymnodie a mis en relief l'influence fondamentale des formes peu compliquées de la musique sacrée sur le répertoire et le style des mélodies mémorisées. A ces discussions, ont participé des ethnomusicologues, des historiens de l'église, des bibliographes et des représentants de différentes régions, choisis pour leurs expériences diversifiées. Vous pourrez prendre connaissance des textes des conférences en consultant le fascicule que nous avons consacré au sujet.

Le deuxième colloque réunit encore plus de personnes. Nous avons invité des musicologues et des compositeurs, mais les rôles principaux ont été donnés aux responsables de l'infrastructure de la nouvelle musique (les producteurs à la radio, les fonctionnaires des conseils des Arts ...) ainsi qu'à quelques visiteurs venant d'autres pays. Le thème fut choisi en fonction de l'Année internationale et fut motivé par le peu d'intérêt que suscite la musique contemporaine auprès des chercheurs et des musicologues : n'est-il pas rare, en effet, de rencontrer un musicologue à un concert de musique d'avant-garde? À notre colloque, nous en avons présentés trois que la musique d'aujourd'hui intéresse.

Mais ce deuxième colloque s'adressait plus particulièrement aux responsables de l'infrastructure de la nouvelle musique : les producteurs à la radio, les fonctionnaires des conseils des arts, etc. Certains observateurs d'autres pays qui ont également été invités, ont été conviés à partager avec nous leur point de vue et à répondre à la question : "Quelle image projette la musique canadienne dans le monde musical d'aujourd'hui?" Les débats ont été très animés et les échanges entre individus fort précieux. Le volume de comptes rendus promet d'être intéressant.

Comme on peut le constater, la recherche de contacts entre participants et la dimension humaine des rencontres demeurent le centre de nos préoccupations. C'est ainsi que, travaillant à l'organisation de la prochaine rencontre, celle des ethnomusicologues canadiens en 1988, il n'est pas rare d'entendre des remarques comme celle-ci : "Malgré la ressemblance de nos travaux, ce sera la première fois que moi, de Terre-Neuve, j'aurai la possibilité d'échanger avec mon collègue d'Alberta."

LES PRIORITÉS DE L'AVENIR

Depuis 1970, alors que le docteur Helmut Kallmann résumait les tâches qui lui semblaient les plus urgentes à accomplir, deux initiatives ont vu le jour, toutes deux dirigées par le docteur Kallmann : l'Encyclopédie de la musique au Canada et la collection de la Société pour le patrimoine canadien. Malgré leurs petites lacunes, ces publications nous sont devenues indispensables. Depuis, la liste des priorités s'est trouvée grandement modifiée. J'aurais tendance à classer ces priorités selon des besoins relevant de l'"international", du "national" et du "régional/local".

Sur le plan international, nous devons affirmer la présence de la musique canadienne par l'insertion d'oeuvres au répertoire des interprètes en tournée. Nous devons prendre davantage conscience de la dimension musicale de notre culture en interaction avec celle des cultures d'autres pays. Au plan national, nous devons renforcer les échanges pan-canadiens afin d'unifier une si riche diversité d'expériences. Un de nos principaux problèmes, à cet égard, est celui de la langue. J'en suis une illustration vivante, me présentant devant vous dans un français imparfait et hésitant. Quand je travaillais sur les comités de l'Encyclopédie et du Patrimoine, j'étais toujours frappé, d'une part, par la difficulté d'une traduction adéquate et, d'autre part, par l'importance capitale de cette traduction. Aux niveaux régional et local, le travail de recherche et de documentation reste à faire; c'est dans cette perspective que travaillent les chercheurs en musique du Québec. Les ressources du passé, au Québec, sont extraordinairement riches et nous devons les faire connaître au reste du Canada. Nous devons chérir plutôt qu'ignorer l'oeuvre de nos prédécesseurs; dans certains domaines - par exemple ceux de l'interprétation et de l'édition - les réalisations peuvent nous étonner.

Nous devons également mettre en relief les musiques de nos concitoyens d'autres cultures, musiques qui sont, dans certains cas, fort archaïques et, dans le cas des musiques inuit et amérindienne, complètement indigènes. De plus, nous devrions nous intéresser aux diverses tendances des créateurs d'aujourd'hui. Face à leurs musiques, nous devrions appliquer les méthodes de classification et d'inventaire qui nous servent dans d'autres secteurs de recherche. Car, les compositions musicales d'aujourd'hui forment le corpus des oeuvres de l'histoire musicale de demain.

Contact information:

Institute for Canadian Music | Faculty of Music | University of Toronto | Edward Johnson Building
80 Queen's Park | Toronto, ON M5S 2C5 | Canada | Tel. (416) 946 8622 | Fax (416) 946 3353
Email: ChalmersChair@yahoo.ca | Web: www.utoronto.ca/icm



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