Joseph Sabl
Accueil
La collection Romantique
Les archives Émile Zola
Banques de données
Catalogues
Autres sites et catalogues
Enseignement et formation à la recherche
Recherchez par mots-clés
Publications
Historique du centre
Coordonnées
Heures d'ouverture
Plan du site
 
Accueil : Les archives Émile Zola : Correspondance de Zola : Lettres échantillons : Dreyfus
Lettres échantillons


392*
A Alfred Dreyfus

Paris, 6 juillet 1899

     Capitaine, si je n'ai pas été un des premiers, dès votre retour en France (1), à vous écrire toute ma sympathie, toute mon affection, c'est que j'ai craint que ma lettre ne reste pour vous incompréhensible. Et j'ai voulu attendre que votre admirable frère (2) vous ait vu, vous ait dit notre long combat. Il vient de m'apporter la bonne nouvelle de votre santé, de votre courage, de votre foi, et je puis donc vous envoyer tout mon coeur, en sachant que maintenant vous me comprendrez.
     Ah! ce frère héroïque, il a été le dévouement, la bravoure et la sagesse. C'est grâce à lui que, depuis dix-huit mois, nous crions votre innocence. Quelle joie il m'apporte, en me disant que vous sortez vivant du tombeau, que l'abominable martyre vous a grandi et épuré! Car l'oeuvre n'est point finie, il faut que votre innocence hautement reconnue sauve la France du désastre moral où elle a failli disparaître. Tant que l'innocent sera sous les verrous nous n'existerons plus parmi les peuples nobles et justes. À cette heure, votre grande tâche est de nous apporter, avec la justice, l'apaisement, de calmer enfin notre pauvre et grand pays, en achevant notre oeuvre de réparation, en montrant l'homme pour qui nous avons combattu, en qui nous avons incarné le triomphe de la solidarité humaine. Quand l'innocent se lèvera, la France redeviendra la terre de l'équité et de la bonté.
     Et c'est aussi l'honneur de l'armée que vous sauverez, de cette armée que vous avez tant aimée, en qui vous avez mis tout votre idéal. N'écoutez pas ceux qui blasphèment, qui voudraient la grandir par le mensonge et l'injustice. C'est nous qui sommes ses vrais défenseurs, c'est nous qui l'acclamerons, le jour où vos camarades, en vous acquittant, donneront au monde le plus saint et le plus sublime des spectacles, l'aveu d'une erreur. Ce jour-là, l'armée ne sera pas seulement la force, elle sera la justice.
     Mon coeur déborde, et je ne puis que vous envoyer toute ma fraternité pour ce que vous avez souffert, pour ce qu'a souffert votre vaillante femme. La mienne se joint à moi et c'est ce que nous avons en nous de meilleur, de plus noble et de plus tendre, que je voudrais mettre dans cette lettre, pour que vous sentiez que tous les braves gens sont avec vous. Je vous embrasse affectueusement
(3).

L.a.s., coll. Mme Pierre-Paul Levy.
Corr. Bern., t. 11, p. 844-845.

     1. Dreyfus avait été informé de l'arrêt de révision le 5 juin. II avait quitté l'île du Diable le 9 juin, à bord du croiseur Sfax, où il avait été soumis au régime d'un officier aux arrêts de rigueur. Dans la nuit du 30 juin au ler juillet, il avait été débarqué à Port-Haliguen, à la pointe de la presqu'île de Quiberon; à six heures du matin, il avait été enfermé dans la prison militaire de Rennes. Le 4 juillet, ses avocats, Edgar Demange et Fernand Labori, lui avaient remis la sténographie du procès Zola de février 1898 et l'enquête de la chambre criminelle de la Cour de cessation. (Retour au texte)

     2. Sur Mathieu Dreyfus, voir la lettre 56, n. 17. (Retour au texte)

     3. C'est Lucie Dreyfus qui répondit à la lettre de Zola. Le 12 juillet, de Rennes, elle lui adressa ces lignes: «Je ne pourrais vous dire l'émotion, la joie, que vous avez données à mon marl en lui écrivant cette belle, cette admirable lettre. II a été profondément heureux des sentiments que vous lui exprimez et bien ému de vos paroles dont l'élévation lui a été [sic] droit au coeur. Merci, cher monsieur, pour lui et pour moi de lui avoir procuré cette joie. Je me sens incapable de vous exprimer ce que son coeur renferme pour vous, pour son sauveur, d'immense reconnaissance, d'admiration profonde. Il vous le dira lui-même le jour béni où nous serons enfin heureux » (B.N., MSS, n.a.f. 24518, fo 148). (Retour au texte)

* Lettre autographe signée    (Retour au texte)
Avec l'autorisation des Presses de l'Université de Montréal

 
© 2001-2007 Centre d'études du 19e siècle français Joseph Sablé. Tous droits réservés.
Design, en collaboration avec Jeanne Humphries. Contact-nous.
28.02.07