Argent et Révolution dans Les Démons
Sophie Ollivier, Université de Clermont ii
L'argent est une des données essentielles de l'univers dostoeivskien. Nul mieux que Dostoievski, l'écrivain prolétaire, n'a compris la nécessité de l'argent, nul mieux que lui ne sera en mesure de dépeindre le malheur des pauvres, l'arrogance des riches, mais aussi ce désir trouble qui sommeille dans l'âme du pauvre, le désir du million, désir étrange exempt de cupidité, désir enivrant qui fait perdre la tête, désir auquel se mêle un sentiment de mépris lié à une haine secrète.
L'étude des critères d'acquisition et d'utilisation de l'argent dans l'oeuvre de Dostoievski met en évidence la disproportion flagrante entre les sommes obtenues par l'héritage, le vol, la fabrication de fausse monnaie... et les sommes minuscules gagnées par le travail honnête. L'argent qui sert à vivre est infime par rapport aux sommes fabuleuses employées à la thésaurisation, à la débauche, à la corruption... D'un côté, il y a un surplus, une présence pléthorique, de l'autre, un manque, une absence tragique. D'un côté, une soif inextinguible, de l'autre, un besoin lancinant. Cette dichotomie, Dostoievski la refuse. Le cri angoissé qu'il pousse devant la tragédie de la misère résonne dans toute son oeuvre. Les pauvres sont condamnés à la souffrance physique, à des tortures morales sans fin; à la fois regardant et regardés, ils vivent dans une humiliation constante. Dès
les Pauvres gens, l'écrivain prend leur défense et dénonce l'injustice de leur condition: elle est d'autant plus frappante qu'à la grandeur d'âme du pauvre s'oppose la déchéance morale du riche qui l'oppresse.
La condamnation du riche devient, après le retour du bagne, la condamnation d'un système. Frappé, après une longue absence, par les bouleversements survenus dans son pays, Dostoievski suit d'un oeil angoissé le développement du capitalisme russe. A la différence de Herzen, qui pensait que la Russie pourrait l'évi-
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ter, il le considère comme un phénomène irrévocable devant lequel il est nécessaire de prendre position. Le premier voyage en Occident lui fait découvrir l'horreur du capitalisme anglais avec sa population de pauvres affamés, son Palais de Cristal. A Paris, il constate avec dégoût que le capitalisme dont la Révolution a marqué l'avènement est en contradiction avec les principes révolutionnaires. Ces derniers restent lettre morte dans une société où, seuls, ceux qui possèdent un million sont libres et peuvent exercer leurs droits. Par opposition à l'idéologie capitaliste, s'élaborent des systèmes qui garantissent à l'homme les biens matériels mais sont fondés sur la raison et ne peuvent trouver leur application dans un pays où la fraternité n'existe pas. La condamnation impitoyable est double.
Lorsque Dostoievski se tourne vers le capitalisme et le socialisme russes, sa réflexion s'approfondit, sa critique se développe. La conception dostoievskienne du capitalisme n'est pas économique. Pour lui, c'est la possession d'un capital qui fait d'un homme un capitaliste. Il connaît le fonctionnement de l'usure, mais la manière dont se constituent, se manipulent et s'accumulent les capitaux lui est étrangère. Les grosses sommes tombent du ciel, sont obtenues par des moyens malhonnêtes ou par quelque truc. "Mais regardez un peu les capitalistes russes et leurs capitaux", dit le Prince dans les Carnets des
Démons, "c'est comme si tout avait été gagné à la roulette. Le père a réuni des millions, et non par la thésaurisation, non par le travail, mais par quelque truc. La plupart de nos capitaux sont le produit de trucs... A tel point qu'on n'a pas la moindre notion de la formation des capitaux". Dostoievski ne comprend pas le mécanisme économique du capitalisme. Il y a bien une allusion au rapport capital-travail dans la phrase de Piotr Verkhovenski: "Les marchands millionnaires rognent sur les salaires des ouvriers", mais le mécanisme de l'exploitation des ouvriers par les Chpigouline est laissé dans l'ombre, et leur grève provient moins de leur conscience de classe que d'un mécontentement provoqué par la malhonnêteté de l'intendant qui n'a pas versé les sommes dues. Lorsqu'il tente, dans la création magistrale de Loujine, de faire du profit le fondement économique du système et raille les théories libérales selon lesquelles il existe une harmonie entre l'intérêt particulier et l'intérêt général, Dostoievski amalgame l'idée de profit à l'égoïsme
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rationnel de Tchernychevski, montrant ainsi que le capitalisme s'approprie les idées socialistes et, surtout, que des points communs existent entre les deux systèmes.
Devant le capitalisme, Dostoievski réagit en moraliste: il diagnostique la maladie contagieuse, venue d'Occident, qui s'est emparée des hommes russes, et il se penche avec anxiété sur les ravages qu'elle fait dans l'âme de chacun. La soif de l'argent engendre dureté de coeur, incapacité de faire le bien, besoin de domination, déspiritualisation. Celle-ci touche toute la société russe et, danger grave pour Dostoievski, même le peuple qui est prêt au meurtre pour de l'argent. La critique du capitalisme, qui atteint son point culminant dans
l'Idiot, semble quelque peu à l'arrière plan dans les Démons où il est représenté essentiellement par un personnage. Fille d'un riche fermier des eaux-de-vie, Varvara Petrovna appartient à la minorité des nobles qui n'a pas été ruinée par l'abolition du servage. Elle est très riche, mais le mécanisme de la formation de son capital n'est pas donné. Dostoievski préfère scruter l'âme de son personnage. Varvara Petrovna apparaît comme une personne avide, en quelque sorte, de donner de l'argent, mais, sous le couvert d'une générosité désintéressée, il n'y a que calculs raffinés, désir de puissance, besoin de tenir les autres à sa merci: Chatov, dont elle attend la reconnaissance, Dacha, qu'elle manipule, Stepan Trofimovitch, qu'elle considère comme sa création et dont elle exige une soumission servile. Le capitaliste transforme les autres et se transforme lui-même en une chose: celui qui donne est plongé dans le même processus que celui a qui l'on donne. Les rapports qui engendrent cette double aliénation sont personnels et se situent toujours en dehors de la sphère du travail. Jamais Dostoievski n'aborde la question des rapports de production capitalistes au cours desquels le produit du travail est transformé en marchandise et l'activité humaine en une chose. Il aboutit toutefois a une conclusion qui a des résonnances marxistes: le capitalisme se caractérise par la réification.
La critique du socialisme avait commencé avant celle du capitalisme. Dostoievski réfutait, dans
le Sous-sol, des théories fondées sur la morale utilitariste. A partir de
Crime et Châtiment, le socialiste Lebeziatnikov est encore d'une honnêteté irréprochable et
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s'érige en défenseur des opprimés et en dénonciateur de la charité hypocrite de Loujine. Une fausse note déjà: il est fasciné par les liasses de billets que ce dernier étale sur la table. Mais la soif de l'argent ne l'a pas encore atteint. Dans
l'Idiot, les socialistes sont d'un type nouveau. C'est à Lebedev, usurier et avocat véreux, qu'il est donné de les définir: "Les nihilistes, au moins, sont parfois des gens instruits, voire savants. Ceux-là les dépassent, car ils sont avant tout des hommes d'affaires. Au fond, ils procèdent du nihilisme, mais indirectement, par une tradition détournée. Ils ne se manifestent pas par des manifestes de journaux, mais vont droit aux faits. Il ne s'agit plus pour eux de démontrer que Pouchkine est inepte ou qu'il faut démembrer la Russie, non, mais ils se considèrent comme ayant le droit, s'ils ont envie de quelque chose, de ne s'arrêter devant aucun obstacle et d'estourbir huit personnes le cas échéant". Mais ces nouveaux nihilistes, dont Dostoievski raille la manie de réparer les injustices sociales (ils estiment, à tort, avoir droit à un héritage et viennent réclamer de l'argent au prince), sont encore capables de bonté et de repentir.
Un pas nouveau est franchi avec les Démons. Les meurtriers ne sont plus potentiels. Avant le bagne, le socialisme utopique avait, un moment, représenté pour Dostoievski le prolongement du christianisme, son adaptation aux temps modernes. Après le Congrès de la Paix, en septembre 1867, la Commune, l'affaire Netchaev, il est convaincu que le socialisme est devenu destructeur et athée. Sa vision des choses s'incarne dans des personnages dont l'attitude envers 1'argent révèle la véritable nature. Dostoievski oppose les différentes générations de révolutionnaires. Le décembriste était d'une intégrité totale: il est question, dans le roman, d'un jeune décembriste qui "avait connu la faim et s'était trouvé dans la nécessité de gagner son pain à la sueur de son front, uniquement parce qu'il refusait, les jugeant injustes, de se soumettre aux exigences de son père, un homme riche". Le père du mouvement révolutionnaire, lui-même marqué par la soif de l'argent, représente les libéraux des années 40 qui estiment que la beauté est plus indispensable à l'homme que le pain. Les fils sont d'une autre espèce: ils se sont laissés envahir par l'esprit de lucre. Des voix aux tonalités diverses expriment la pensée de Dostoievski, posent les problèmes qui sont au coeur de ses préoccupations. La voix du chroniqueur,
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fielleuse et hypocrite, dénonce dans le personnage de Lipoutine l'incompatibilité qui existe entre l'amour de l'argent et l'aspiration à l'harmonie sociale: "Extrêmement avare, Lipoutine avait réussi à acquérir sur ses appointements une petite maison et à mettre de côté quelque argent". Or, "cet être insignifiant, presque abject, despote domestique, jaloux, brutal et avare, cet usurier qui enfermait sous clef les restes des repas et les bouts de chandelle, tombait en extase devant le tableau fantastique des phalanstères de l'avenir, à la réalisation prochaine desquels, en Russie, dans notre province, il croyait comme à sa propre existence". L'individualisme, l'égoïsme forcené qui se manifeste dans l'amour de l'argent est un obstacle majeur à la création d'un monde meilleur: telles étaient les idées que Dostoievski exposait dans
Notes d'hiver, mais les socialistes français lui paraissaient désintéressés et, s'il doutait que le socialisme pût un jour s'instaurer en France, il incriminait non les socialistes mais l'esprit individualiste bourgeois, l'esprit mercantile qui pénètre les consciences. Il garde encore, semble-t-il, une certaine tendresse à l'égard du fouriérisme qui, avait-il déclaré dans sa déposition, "séduit le coeur par l'amour de l'humanité qui animait son auteur". Aussi fait-il de son personnage "un fourieriste inattendu" en soulignant la distorsion entre les idées idylliques et l'avarice sordide. Mais Lipoutine est affilié à un groupe dont le chef prône non le refus pacifique mais la destruction de l'ordre existant, et son fouriérisme devient doublement paradoxal. L'avidité de Piotr Verkhovenski ne le cède en rien à celle de Lipoutine. Elle est dénoncée avec une froideur glaciale par Stavroguine, avec un mépris insultant, une lucidité féroce par Fedka le forçat: "Pour ce qui est de secourir les gens, c'est un homme dur de coeur et avare. Non seulement il ne croit pas pour un sou au Créateur qui nous a tous tirés de la boue terrestre, et dit que c'est la nature qui a fait tout jusqu'au dernier animal, mais il ne veut pas comprendre que nous autres, dans notre situation, nous ne pouvons vivre sans quelque bienfaiteur secourable". Les paroles ambiguës de Fedka contiennent en filigrane une des critiques majeures qu'adresse Dostoievski aux socialistes. L'avarice révèle la bassesse de l'âme, le repli égoïste sur soi, l'incapacité de donner. Or, l'insensibilité à la misère est liée, pour Dostoievski, à l'athéisme. Il ne peut concevoir l'amour de l'humanité sans la foi: celle-ci engendre l'amour comme l'amour engendre la foi.
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Ainsi l'amour du peuple fait défaut à celui-là même qui veut prendre en main sa destinée. La question, essentielle pour Dostoievski, des rapports entre l'homme et sa doctrine est posée par Stepan Trofimovitch: Pourquoi tous ces socialistes enragés et ces communistes sont-ils en même temps d'une avarice incroyable et ont-ils des âmes d'acquéreurs, de propriétaires, si bien que plus ils sont socialistes, plus ils ont l'amour de la propriété... Pourquoi ?" La réponse est formulée nettement dans une lettre du 7 juin 1876, adressée par Dostoievski à un lecteur à propos des pierres transformées en pains: "Ces socialistes, je l'ai remarqué, dans l'attenté d'une organisation future de la société sans responsabilité personnelle, aiment furieusement l'argent et l'apprécient outre mesure, mais justement à cause de l'idée qu'ils lui attachent". Dostoievski établit des liens étroits entre le socialiste et ses idées. Le système, comme l'homme, est entaché de matérialisme: "J'appelle matérialiste, lit-on dans
Journal d'un écrivain de Janvier 1876, le fait que le peuple se prosterne devant l'argent, devant le pouvoir du sac d'or". Ainsi l'attitude du socialiste est-elle conforme à une vision du monde qui accorde une importance primordiale à la transformation des pierres en pains.
Dans sa tendance à amalgamer socialisme et capitalisme, Dostoievski va jusqu'à attribuer à Varvara Petrovna des idées socialistes et lui fait prononcer la tirade enflammée contre l'aumône réservée dans les
Carnets à Netchaev: "Le plaisir que procure l'aumône est un plaisir orgueilleux, immoral, il permet au riche de jouir de sa richesse, de ses pouvoirs, en les comparant à la faiblesse du pauvre. L'aumône déprave aussi bien celui qui donne que celui qui reçoit et de plus elle n'atteint pas son but, car elle multiplie la misère... Dans la société nouvelle, il n'y aura plus de pauvres du tout". Dostoievski montre ainsi que, en tant que représentante d'un système qui commande, par la recherche du profit, 1'étouffement de la personne humaine, Varvara Petrovna devait être naturellement attirée par une doctrine qui rejette toute possibilité d'entr'aide entre les hommes. Par la critique de la charité des riches dont il ne cesse de stigmatiser l'hypocrisie, Dostoievski rejoint le socialisme mais il ne peut accepter ses conclusions et se refuse à opposer justice et charité. La conception de l'aumône, don de soi et capable de préserver la philia sera développée dans les derniers romans.
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Affinités, attirance et influence réciproques. Dostoievski va plus loin encore. Il voit dans le capitalisme l'allié du socialisme. L'analyse du rôle de l'argent dans le roman va nous permettre d'approfondir la nature des relations qu'établit Dostoievski entre socialisme et capitalisme et de découvrir leur aboutissement. L'argent est présent chez Dostoievski sous toutes ses formes: pièces de monnaie, roubles argent, roubles papier ou kreditka, billet d'Etat dont le cours tombe, lors de la grande crise économique de 1866, à 68 roubles argent. L'argent peut être mentionné, il peut être présent sous une forme concrète, on le tient, on le palpe, on le froisse... A la première catégorie, appartiennent l'argent promis par Piotr Verkhovenski à Fedka (1. 500 roubles), réclamé par lui à Stavroguine pour éloigner Lebiadkine (1. 500 roubles), donné, ou soitdisant donné, à Lebiadkine (250 roubles), la somme versée aux Lebiadkine par Stavroguine (300 roubles), celle réclamée par Fedka à Stavroguine (1. 500 roubles), l'argent donné par Varvara Petrovna (1. 000 roubles versés annuellement à Piotr Verkhovenski, 15. 000 roubles à Dacha si elle épouse Stepan Trofimovitch, 15. 000 roubles à ce dernier). Toutes ces sommes sont d'une mobilité extrême. L'argent est réellement ou virtuellement volé, il passe ou doit passer entre les mains de plusieurs personnes: 300 roubles vont de Stavroguine à Lebiadkine par l'intermédiaire de Dacha, 8. 000 roubles, tirés de la dot de Dacha, vont de Varvara Petrovna à Dacha, puis de Dacha à Varvara Petrovna qui veut les donner a Stepan Trofimovitch, et, enfin, de Stepan Trofimovitch à son fils. L'argent chez Dostoievski es fou, il ne tient pas en place, va decidelà, mû par une force secrète. C'est le fol argent (bechenye
dengui), cher à Ostrovski. Il existe deux sommes de 1. 500 roubles, deux sommes de 7. 000 roubles (l'une est le prix du domaine de Stepan Trofimovitch acheté par Varvara Petrovna, l'autre, ce qui reste de la somme donnée à Dacha), deux sommes de 8. 000 roubles (l'une donné à Stepan Trofimovitch par le truchement de la dot, l'autre, donnée à Dacha pour parfaire le montant tronqué de la dot), deux (même trois) sommes de 15. 000 roubles (celle que Stepan Trofimovitch rêve d'offrir à son fils et qui correspond au prix du domaine avant sa dilapidation, la somme donnée à Stepan Trofimovitch: 7. 000 + 8. 000 roubles, celle donnés à Dacha: 7. 000 + 8. 000 roubles). Même les 1. 000 roubles versés à Piotr Verkhovenski ont leur double: les 1. 000 roubles réclamés à Lebiadkine qui accuse Dacha d'avoir soustrait 700 roubles de la somme.
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Les sommes d'argent - en général plus petites, qui surgissent inopinément lors de scènes importantes, parfois conclaves - sont aussi animées d'un mouvement continu. Elles passent d'une main à l'autre: de Varvara Petrovna à Maria Timofeevna (10 r. ), de Stavroguine à Fedka (50 r. ), de Lebiadkine à Varvara Petrovna (20 r. ), de Chatov à Stavroguine (100 r. ). Dans ces deux derniers cas, le mouvement est circulaire: l'argent revient à son point de départ. Or, le mouvement qui va du pauvre au riche n'est vu que d'un côté, le geste du riche qui reprend son propre argent reste hors du champ de vision. Si la lumière est braquée sur certains gestes, c'est que l'argent a une fonction révélatrice. La manière dont il est manié, l'endroit où on le dépose, où on le garde (dans un porte—monnaie, dans un tiroir sous des papiers... ) éclairent le caractère, l'âme du héros. Parfois même, il peut se détade son propriétaire, vivre indépendamment de lui et agir sur lui, déterminer le cours des événements. Lorsque Varvara Petrovna sort d'un porte-monnaie de nacre 10 roubles pour les tendre à la Boiteuse, son geste plein d'ostentation et de défi traduit la peur de voir un secret honteux révélé en public: c'est le prix inconscient d'un silence impossible puisque la somme (doublée) sera rendue. Maria Timofeevna semble tenir à l'offrande, elle serre entre les doigts de la main gauche les 30 roubles, mais le billet, dont le coin est recourbé par le vent, veut s'échapper, refuse de rester avec son nouveau propriétaire, trahissant ainsi l'indifférence de la Boiteuse à l'égard des 30 roubles et son aveuglement momentané. Dans la scène conclave, Lebiadkine désire rendre l'aumône donnée à sa soeur et compte les billets avec une rage impatiente. Ceux-ci refusent de se laisser compter, révélant le manque d'assurance du bouffon, sa peur du ridicule, sa réticence, mais aussi la toute-puissance de l'argent qui semble narguer son propriétaire du moment et vouloir agir à sa guise. Reflets fidèles de leur maître, les billets de 50 roubles jetés un par un se jouent de Fedka. Ils veulent lui échapper et, mus par une force étrange, s'envolent, tombent et se mélangent à la boue, et se séparent les uns des autres. Envol, chute, dislocation, cette danse effrénée affole le spectateur. L'alliance de l'argent avec les éléments (vent, terre, eau), avec les phénomènes de la nature (la nuit, qui a aussi un caractère symbolique) est dirigée contre le pauvre qui doit s'agenouiller dans la boue pour chercher les billets. Ce geste symbolise l'avilissement de Fedka, révèle son âme. Celui-ci est atteint par la contagion
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de l'argent: il mendie 3 roubles, espère en recevoir 1. 500, vole et tue pour 12, est prêt à tuer pour 50. Par le pouvoir diabolique de l'argent, un pacte sordide a été scellé.
Grandes ou petites, simples signes révélateurs ou forces toutes-puissantes, toutes ces sommes se caractérisent par une origine et une destination communes. Elles appartiennent à Varvara Petrovna et sont destinées, d'un côté à Stepan Trofimovitch (Dacha n'est qu'une intermédiaire) et à son fils, de l'autre, à des hommes qui doivent servir les desseins de Piotr Verkhovenski. L'argent de Varavara Petrovna est employé à préparer la révolution, c'est-à-dire, selon Verkhovenski, à provoquer des troubles, distribuer des tracts aux paysans et aux ouvriers pour attiser leur haine contre les riches, encourager la fabrication de fausse monnaie (Lebiadkine mentionne 50 roubles de fabrication française), la débauche, le meurtre. Ainsi, la course folle de l'argent n'est pas gratuite. L'argent suit une direction déterminée: il sert les intérêts de la révolution.
La peinture des rapports entre l'argent et la révolution s'inspire de faits réels. Netchaev espérait tirer de l'argent des frères Lichoutine qui étaient nobles et riches. Comme le prévoyait son programme, il avait besoin d'un fond révolutionnaire qu'il tenta de créer par tous les moyens. (1) L'argent de Varvara Petrovna constitue en quelque sorte ce fond destiné à la préparation de la révolution. Mais le réel est surtout le point de départ d'une méditation angoissée sur la destinée de la Russie. Pour Dostoievski, le capitalisme, comme la révolution qui veut le détruire, mène le pays à sa perte. Que se propose, en effet, Piotr Verkhovenski, sinon d'exacerber les injustices sociales (Dostoievski s'inspire ici du catéchisme du révolutionnaire) et, ainsi, de hâter le processus de décomposition spirituelle qui, pour l'écrivain, est caractéristique du monde de l'argent. Ce n'est pas par hasard que la description que lait Piotr Verkhovenski de la phase pré-révolutionnaire rappelle, reflète, en quelque sorte, le tableau que brossent divers personnages de l'Idiot, obsédés par l'épidémie de crimes et de vols qui sévit en Russie. Le meurtre pour de l'argent est le signe avant-coureur de la violence révolutionnaire. La révolution, non seulement exploite une situation existante, mais elle en découle. "Je rentre en Russie, dit Piotr Verkhovenski, et il se trouve que le
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crime n'est plus une anomalie, mais une preuve de bon sens; il est, au contraire, presque un devoir moral ou, tout au moins, une protestation généreuse. Comment un homme cultivé ne tuerait-il pas, s'il a besoin d'argent ?
Une société construite au moyen de la violence ne peut conduire, selon Dostoievski, qu'au despotisme. Dans "l'Eden primitif", de Chigaliov, le besoin d'argent sera éliminé au prix de l'esclavage, de "la soumission sans bornes de la majorité à une minorité". Mais la disparition du besoin d'argent n'entraînera pas, semble-t-il, celle de la soif de l'argent. Car cette minorité qui doit construire un monde nouveau, Dostoievski nous l'a montrée marquée, à part quelques exceptions, par l'esprit de propriété, et on peut supposer qu'elle ne renoncera pas à la jouissance de l'argent. "A nous les désirs", proclame Piotr Verkhovenski, formule qui est une extrapolation cynique de la libération des désirs chez Fourier. On voit donc que, en dépit de la disparition du besoin d'argent, se reproduit le schéma du monde capitaliste, tel que le trace Dostoievski dans son oeuvre. C'est ainsi que l'écrivain présente dans son roman l'aboutissement de la révolution. Celle-ci engendre, non la négation, mais le renouvellement de la société antérieure dont elle découle. D'abord rupture historique, elle devient, conformément à son acception étymologique, retour sur soi, évolution qui revient.
Si Dostoievski refuse une société égalitaire où le bonheur matériel serait octroyé à l'homme par la force, c'est qu'il n'admet pas la refonte d'un monde dont le plan a été tracé par Dieu. Les constructions de la raison ne peuvent être placées au-dessus des lois divines. La révolution a une signification métaphysique: elle est transgression d'un ordre. Issue d'un monde dominé par la soif de l'argent, elle est, comme ce monde, sous le signe de Satan. Argent et révolution sont les deux grandes tentations de l'homme. Lorsque Piotr Verkhovenski préconise le règne de l'imposteur, il prévoit l'édification d'un bâtiment de pierre qui n'est autre que 1'antiroyaume messianique. Représentant du monde de l'argent par sa mère ("Je vous regardais et je me rappelais les traits du visage de votre mère, dit Tikhon, malgré la dissemblance extérieure, il y a une grande ressemblance intérieure"), uni au mouvement révolutionnaire dont il a rédigé les statuts, choisi par Piotr Verkhovenski, Stavroguine est le point
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de jonction entre capitalisme et nihilisme. Il n'est pas un démon ordinaire, un
melki bes comme Piotr Verkhovenski, mais l'incarnation de l'Antéchrist. Quand Mikhailovski écrivait que Dostoievski ne s'était pas attaqué aux vrais démons, il n'avait décelé, aux cotés des démons révolutionnaires, ni la présence des démons du capitalisme, ni leurs affinités et leur collusion. Nihilisme et capitalisme, tous deux désireux de prendre la place du christianisme, tous deux responsables des crimes du peuple, se tiennent chez Dostoievski sur le même terrain; ils sont, comme dit Berdiaev, "de la même chair, du même sang".
Après les Démons, le pamphlet contre le socialisme perd à la fois sa virulence et sa dimension métaphysique. Les socialistes sont plus désintéressés dans l'Adolescent, mais même Vasine, indifférent à la richesse, ne conçoit pas la société nouvelle sans le capital. De plus, l'idée de Rothschild devient "la séquelle imprévue du capitalisme". Mais l'Adolescent n'est pas avide et s'empresse de distribuer son argent.
Dans les Démons, d'autres solutions sont confrontées à la solution socialiste. Toutes sont individuelles, toutes sont le fruit d'un acte de volonté: la résignation pour les pauvres, le rejet de l'argent pour les riches, la pauvreté volontaire pour les saints. Au-dessus des révoltés qui refusent la pauvreté, source d'humiliation, et cherchent par le crime à accumuler pour acquérir une place dans la société, Dostoievski placent les résignés qui acceptent leur condition de pauvres, sans avoir la réaction morbide d'aggraver leur humiliation, sans la rechercher comme le héros de
Sous-sol, ou s'y complaire comme Marmeladov. Kirillov, Chatov acceptent leur extrême misère sans même la remarquer. Ils sont bons, capables de donner le peu d'argent qui est en leur possession: 2 roubles (Kirillov), 5 kopeks (Chatov). Celui-ci prend les cent roubles de Varvara Petrovna, non pour alléger sa misère, mais pour s'acquitter d'une dette envers le maître dont il a découvert le machiavélisme (c'est un geste de rupture). S'il ressent la nécessité de l'argent, c'est pour les autres. Elle s'éveille en lui lorsque revient sa femme. Oublieux du danger qu'il court, il est prêt à vendre son revolver pour quelques roubles. Sa quête désespérée est un des moments les plus poignants du livre. La résignation, toujours activa chez Dostoievski, s'allie au dévouement et à la générosité. Mais, jusqu'aux
Démons, elle était surtout
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une force qui s'opposait à l'orgueil dominateur et avilissant du riche. A présent, l'opposition entre résigné et riche va se muer en opposition résigné-révolutionnaire. Le résigné devient un chercheur de vérité anti-révolutionnaire, les théories de Kirillov et de Chatov sont construites en contrepoint des théories révolutionnaires. Kirillov est un saint athée qui croit à 1'homme-Dieu et se tue pour les autres. Chatov, qui n'ose affirmer sa foi en Dieu, a renié ses idées révolutionnaires et proclame que le salut de la Russie viendra du peuple russe, seul peuple théophore. C'est la solution que préconise Dostoievski. Dans les
Carnets, le rôle du Christ dans la construction d'un monde meilleur était souligné avec plus de force: Chatov opposait à l'avidité des hommes l'idéal christique.
Maria Timofeevna s'est laissée, comme Chatov, souiller par l'argent du riche, mais elle est indifférente au besoin d'argent et se nourrit essentiellement de nourritures spirituelles. Elle ne cherche pas, elle porte la vérité à laquelle elle accède par des visions mystiques. Elle incarne la conception dostoievskienne de la femme du peuple russe inaccessible aux deux grandes tentations: celle de l'argent et celle de la révolution. Le refus de s'allier à l'imposteur qu'elle démasque entraîne sa mort.
La solution du rejet de l'argent est incarnée dans le personnage de Stepan Trofimovitch. Le départ sur la grand-route signifie à la fois le refus du parasitisme (lié chez Dostoievski au démonisme) et le refus du nihilisme. Cette double rupture va inévitablement de pair avec le mépris de l'argent. Les quarante roubles que Stepan Trofimovitch a emportés avec lui sont parfaitement inutiles (il les remet à sa compagne), comme sont parfaitement inutiles les trente-cinq kopeks avec lesquels il veut acheter l'Evangile: celui-ci lui sera révélé sans l'intermédiaire de cette somme, si minime soit-elle. Le dépouillement matériel entraîne la découverte du remède au mal qui ronge la Russie et dont il se sent responsable.
A un niveau supérieur se tiennent les élus qui doivent "rénover et purifier la terre". Ce qui, pour Stepan Trofimovitch, n'a été qu'une lueur éclairant le seuil de la mort devient pour les pauvres volontaires le point de départ de toute une vie. Tikhon avait été conçu dans
la Vie d'un grand pécheur comme l'antithèse
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de l'usurier, le maître spirituel de l'enfant nihiliste hanté apr l'idée de l'accumulation. Son enseignement est repris par divers personnages dans les
Carnets des Démons:, l'ancien vieux-croyant Goloubov qui prêche la maîtrise de soi et l'humilité au Prince, son élève Chatov, puis c'est Stavroguine qui inculque, mais sans y croire, ces idées à ce dernier et, enfin, c'est Chatov lui-même qui, dans la version définitive, exhorte son ancien maître: "Obtenez Dieu par le travail, allez, abandonnez vos richesses". Tel est l'enseignement implicite de Tikhon dans la scène de la confession, lorsqu'il récite le passage de l'Apocalypse sur l'ange de l'Eglise de Laodicée: "Car tu dis: Je suis riche, je me suis enrichi et je n'ai besoin de rien, et tu ne sais pas que tu es misérable, et pauvre, et aveugle et nu... " C'est ce même passage que lit la colporteuse à Stépan Trofimovitch. Mais Tikhon est impuissant à sauver Stavroguine. Celui-ci n'abandonnera pas ses richesses. Ses paroles: "Je ne suis pas riche du tout" peuvent être considérées comme l'affirmation d'un dénuement spirituel et d'une impossibilité de trouver la voie du salut. Dès qu'il touche à l'argent, ses actes sont parodiques: parodie du besoin d'argent (vol du salaire d'un petit fonctionnaire: 35 roubles), parodie de la générosité (les 50 roubles sont donnés à Fedka pour payer un meurtre, la même somme est offerte à Tikhon pour réparer un geste sacrilège - le crucifix brisé en deux -, le symbole est clair: la foi ne s'achète pas). L'argent, devenu inutile, est alors offert à Tikhon "pour les pauvres"; expression qui, dans la bouche de Stavroguine, est vide de sens. Ennuyé de vivre jusqu'à "l'hébétude", Stavroguine se suicidera. "Tant de richesses et si peu de gaîté", disait Maria Timofeevna.
La figure un peu pâle de Tikhon sera complétée par celles de Makar, puis de Zosima. Seuls, les saints sont capables de distribuer leurs richesses. La notion d'aumône acquiert ici sa véritable dimension. L'aumône est un don total: ce n'est pas 10 roubles qu'il faut donner, mais tout ce qu'on possède, c'est toute sa personne qu'il faut donner à tous: "Ce n'est pas une petite richesse, ni 100. 000, ni 1 million, mais l'univers entier que tu gagneras... Va et distribue ta richesse et fais-toi le serviteur de tous", dit Makar à l'adolescent, et il raconte l'histoire du riche marchand qui, pour expier ses péchés, remet les dettes de ses créanciers, répand son argent sans compter, finit par abandonner toute sa fortune à son épouse et
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s'en va de par le monde sauver son âme. Lui-même est volontairement devenu un pauvre, un pèlerin qui erre de village en village. Frappé par l'épisode de Job qui accepte sa misère comme épreuve envoyée par Dieu, le staretz Zosima recherche l'esprit de pauvreté: après avoir abandonné sa fortune, il se retire dans un monastère et vit dans une pauvre cellule ornée de quelques lithographies "qu'on peut acheter à la foire pour 1 kopek". On voit le chemin parcouru. Tikhon vivait dans un cadre riche: fauteuil très confortable, table "d'un travail admirable", tapis, icônes recouvertes d 'or et d'argent. L'esthétique est désormais bannie au profit de l'humilité. La doctrine du staretz est fondée sur le principe, découvert par Stepan Trofimovitch avant de mourir, selon lequel chacun est responsable devant tous. La liberté, qui exige l'existence d'un Dieu infini et parfait vers lequel l'homme peut tendre mais dont il peut aussi se détourner, ne réside pas dans la possession de l'argent (c'est un des leitmotivs de l'oeuvre de Dostoievski qu'elle réduit l'homme en esclavage) mais dans la domination de soi. Le riche, comme le pauvre, doit trouver la voie qui mène à la liberté. Le staretz ne préconise donc pas l'abolition de l'argent, la suppression de la richesse et de la pauvreté. Les catégories sociales continueraient, semble-t-il, à exister, mais, entre elles, les barrières pourraient être abolies, non seulement pour l'amour chrétien qui unirait riches et pauvres, mais aussi dans la mesure où l'appartenance à ces catégories pourraient être interchangeable, le riche devenant pauvre et vice-versa. Ainsi la soif de l'argent n'existerait plus mais non pas le besoin d'argent qui serait en quelque sorte sublimé. Dans l'utopie de Chigaliov, le besoin d'argent était supprimé par la force, ce qui entraînait l'absence de toute responsabilité du pauvre devant sa pauvreté, et l'impossibilité pour lui d'accéder à la vie spirituelle tant que la soif et la possession de l'argent continuaient à exister.
Il ne reste que le monde nouveau à la fois rêvé (le règne des élus) et vu de loin (le monde de la liberté où le temps est suspendu) par Raskolnikov, l'âge d'or rêvé par des héros athées (mais il est situé dans le passé et menacé de disparition) et, enfin, le royaume terrestre du Christ dont Makar et Zosima prédisent l'avènement. Ceux-ci ont résolu le problème de l'argent pour eux-mêmes. Dostoievski voit en eux l'idéal qu'il n'est pas donné à tout homme d'atteindre. Il les
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représente comme des messagers qui annoncent la venue d'un royaume où se mêlent la nostalgie du paradis de la Genèse et l'attente d'un millénium terrestre. "Aujourd'hui, dit Makar, il n'est pas rare que même le riche et le grand soient indifférents au nombre de leurs jours et ne sachent pas eux-mêmes quelles distraction inventer: mais, alors, tes jours et tes heures seront multipliés mille fois. Tu acquerras la sagesse non point par les livres, tu seras face—à face avec Dieu lui-même, la terre resplendira plus que le soleil et il n'y aura ni chagrin ni soupirs, mais seulement un paradis unique et sans prix". Le paradis terrestre de Makar ne serait-il pas ce royaume situé au coeur de l'homme qu'exaltait Goloubov ?
Si on excepte donc ces moments de félicité, l'univers dostoievskien ne peut se libérer de la présence de l'argent. Même les saints reconnaissent sa nécessité pour les autres, mendient pour les pauvres (Tikhon ne refuse pas les 50 roubles), laissent de l'argent en testament (les 3. 000 roubles de Makar doublés par les intérêts). Le contact de l'argent, même purifié parce qu'il est consacré à Dieu (Makar mendie pour la construction d'une église), ne leur est point épargné. L'oeuvre contredit le rêve que poursuit Dostoievski d'un monde d'où l'argent serait éliminé: l'aspiration au règne terrestre du Christ venant supplanter le règne de l'argent auquel la révolution ne peut mettre fin.
NOTES
1 Cf. dans l'ouvrage de M. Confino Violence dans la violence, Maspero, Paris, 1973, l'histoire du fond Bakhmetev (p. 51-61).
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